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[50 ans] Ce à quoi le RHF a échappé

50 ans après - Ce à quoi le RHF a échappé

Mise en web par A. Filhol (août 2021) sur la base des souvenirs de Jean-Paul Martin, Jean-Pierre Schwartz et Michel Laroumagne

Un ILL franco-russe ?

Les participants de gauche à droite :
1er rang
ROSSILLON : chef du service des piles du CENG
Interprête
Pierre BALLIGAND : directeur du centre d’études nucléaires de Grenoble (CENG)
Les autres personnes sont membres de l'institut Mekeless
2ème rang
Jean-Paul MARTIN : ingénieur au département de construction des piles (Saclay)
Louis BREGEON : ingénieur du service de physique mathématique (Saclay)
FRANCKEL : ingénieur au département de la métallurgie (Saclay)
SAUTRON : ingénieur du service des études de combustibles (Saclay)
LAFAURIE : ingénieur au département de construction des piles, spécialité combustible (Saclay)
Jean-Pierre SCHWARTZ : ingénieur du service de physique mathématique (Saclay)
Paul AGERON : membre de l’ILL non encore créé officiellement (janv 1967) à la date de la mission
Archives de JP Martin

par Jean-Paul Martin

En juin 1966, alors que l'étude du RHF commence à peine, Robert Dautray envoie toute son équipe en URSS sous la direction de par Pierre Balligand mais ni lui-même, ni Bernard Jacrot ne font le voyage. Voici les souvenirs que j'en garde.

Les russes avait en projet un réacteur expérimental qui visait à peu près les objectifs que nous poursuivions pour le futur RHF. La mission avait donc pour but d'étudier leurs solutions.

Je me souviens très bien des propos du représentant de l’URSS s’adressant à Monsieur Balligand et lui demandant instamment de renoncer au projet RHF avec l’Allemagne et de faire le projet en collaboration avec l’URSS.

Balligand était particulièrement ennuyé car il n’avait pas été missioné pour ce type d'échange et Dautray n'était pas présent. Le représentant soviétique insistait beaucoup pour prévenir les hautes sphères soviétiques de cette possibilité de collaboration. En outre, à Moscou, des physiciens de haute tenue avaient porté aux nues les idées et les expériences de Monsieur Jacrot, lequel n’était pas non plus présent.

En outre, les Russes avaient une réalisation à Melekess (maintenant Dimitrovgrad) - probablement le VK-50 BWR de 1965 - qui nous avait impressionné car la puissance thermique dégagée par leur plaque combustible était exactement ce que l’on visait pour le combustible du RHF. Toutefois, eux avaient des plaques plutôt libres, ce qui autorisait les vibrations engendrées par la vitesse de l’eau (15 m/s), et nous nous avions des plaques soudées et donc rigidement fixées dans la coquille. En outre leurs plaques étaient gainées en acier inoxydable, si mes souvenirs sont bons, alors que nous nous visions un gainage en alliage d’aluminium, objectif qui sera finalement atteint pour le RHF.

Bref, Balligand était donc bien embêté et nous, la "troupe" Française de la mission, on riait doucement sous cape !

On a maintenant 55 ans de recul et le projet RHF a très bien fonctionné du point de vue de la tenue de l’élément combustible alors que, cinq ans auparavant, avec des vitesses de 15 m/s et de l’eau lourde, on avait eu de véritables problèmes sur les réacteurs Célestin à Marcoule, mais pas dans les même combustibles il est vrai.

Eau légère ou eau lourde, que choisir ?

Herbert Kouts
©2010 Brookhaven National Laboratory, avec sa permission
Le RHF avec un coeur à refroidissement H2O et un bidon réflecteur D2O sphérique (équipe Dautray, Saclay)
Beckurts, K.H. and Dautray, R. (1966)

par Jean-Pierre Schwartz

Au départ du projet RHF, deux équipes travaillaient en parallèle, une française (Dautray à Saclay) une allemande (Berckurts à Karlsruhe)

Si tout le monde était d'accord sur la nécessité d'un bidon d'eau lourde pour atteindre les objectifs scientifiques, les approches étaient différentes. Pour les deux groupes le bidon d’eau lourde constituait le réflecteur entourant le cœur disposé en son centre, mais à Saclay le cœur était refroidi à l’eau légère alors qu’à Karlsruhe le cœur était refroidi à l’eau lourde [1].

Ce qui m'a beaucoup frappé c'est que chaque équipe a défendu son projet honnêtement, discutant les arguments techniques et les hypothèses utilisées sans crispation sur sa propre proposition. Des réunions de comparaisons ont eu lieu et, en 1966, après la rédaction d’un Rapport Technique Commun [2] avec le concours de Herbert Kouts, physicien américain concepteur du Réacteur à Haut Flux de Brookhaven H.F.B.R., présent à Saclay pendant plusieurs mois, le choix a été fait d'un coeur refroidi à l'eau lourde.
Suite à ce rapport et dès 1967, une équipe franco-allemande a été constituée et basée à Saclay puis à Paris, avenue de Iéna. JP Schwartz connaissait bien P. Ageron qu'il venait chercher dans un café proche de la gare Montparnasse, lors des fréquentes missions qu'il faisait à Saclay pour suivre l'avancement du projet.

Je garde de cette époque le souvenir de la collaboration efficace avec les Allemands. L'examen objectif et sincère de deux concepts différents a abouti au projet final dont le RHF actuel prouve la qualité.

[1] Beckurts, K.H. and Dautray, R. (1966) CONF 660925 Santa Fe, Sept., New Mexico, 19-23.
[2] "Rapport Technique Commun C. E. A. - G. F. K. sur les avantages comparés d'un refroidissement à eau ordinaire ou à eau lourde pour le Réacteur à Haut Flux" - (juillet 1966).

Accepteriez vous un canal de moins Mr Maier-Liebnitz ?

Témoignage de Michel Laroumagne

En 1967 et 1968, une petite équipe basée au bâtiment C5 du CEA-CENG travaillait sur l'implantation des canaux de neutrons dans le bidon réacteur sur la base des demandes du Conseil Scientifique (Maier-Liebnitz, Bernard Jacrot, Daniel Cribier, Paul Ageron, Hervé Nifenecker, ...). Dans cette équipe, Ageron était le chef de projet, Pierre Brethé faisait les calculs, Michel Laroumagne les dessins et s’y ajoutaient Paul Blum et Jean-Claude Faudou.

A l'époque, les ordinateurs étaient rares mais, selon Jean-Pierre Schwartz, des logiciels américains (MUFT, SOFOCATE, PDQ) permettaient déjà des calculs de dimensionnement tout à fait satisfaisants. En revanche, pas encore de logiciels de CAO/DAO, tous les plans étaient tracés à la main, à l'encre de Chine sur table à dessin. Laroumagne se souvient qu’Ageron était timide et était bien embêté de venir avec de nouvelles idées qui bouleversaient ce qui avait déjà été dessiné. De multiples versions des plans se sont ainsi accumulées et Brethé épinglait sur un mur la dernière configuration ayant été validée par les calculs.

Vers la fin de l'étude, pour des raisons d'encombrement stérique, l'équipe rencontrait des difficultés à implanter le canal H13 (qui alimente IN20 actuellement). C'est dans ce contexte que, lors du repas de fin d'année au Relais de l'Oisans, l'équipe a fait avaliser par Maier-Liebnitz une version d'implantation des canaux débarrassée de ce foutu H13 qui résistait. Laroumagne a griffoné le schéma montré ici et Pierre Brethé l'a fait signer par Maier-Liebnitz comme acceptation de cette configuration réduite. Evidemment c’était juste une blague de fin de repas et les efforts ont continué.

Quand H13 a été finalement intégré, les plans ont été envoyés à Saclay pour validation. L'équipe de Grenoble a alors eu le plaisir d'en recevoir en retour une version à peine modifiée (Laroumagne se souvient que l'angle de positionnement du canal H6-H7 était de 30° sur son plan et de 29,5° sur le plan parisien !) ce qui attestait de la qualité de son travail.

1968 Archives Michel Laroumagne
1968 Archives Michel Laroumagne
IBM-704. C'est sur ce type d'ordinateur que le RHF était calculé à Saclay
© NASA

Et pour quelques canaux de plus ...

par A. Filhol

En 1967, le choix d'un coeur refroidi à l'eau lourde ayant été acté, la conception du RHF va passer par diverses phases.

Ce qui suit montre que l'idée initiale d'un bidon réflecteur D2O sphérique (cf. conférence de Santa Fé, 1966) est vite abandonnée.

La petite équipe dirigée par Paul Ageron et basée au bâtiment C5 du CEA-CENG, fière de son projet en fait une maquette. Michel Laroumagne, qui a participé à sa construction, fait remarquer que, dans sa première version, elle comportait au moins 20 faisceaux (le RHF actuel n'en comporte que 16) : des faisceaux horizontaux (H) et des faisceaux inclinés vers le haut (IH), mais aussi des faisceaux inclinés vers le bas (IB). Manifestement on cherchait à rentabiliser au maximum le RHF.

Une seconde version de la maquette ne comporte plus aucun IB, tous ont été supprimés comme l'atteste, grâce à Paul Blum, un article du Dauphiné Libéré du 9 mars 1968. Quand et comment ce choix a-t-il été fait ? Personne ne s'en souvient maintenant et le livre de Bernard Jacrot sur l'histoire de l'ILL n'en dit rien.

Supprimer les IB, et donc réduire d'autant le nombre de spectromètres pouvant être installés autour du réacteur, a-t-il été un choix judicieux ? Cinquante ans après on a la réponse. Les IH ont été peu prisés puisque seuls D15 et BRISP (deux instruments qui n'existent plus) en ont tiré partie. Il est donc vraisemblable que les IB auraient eu encore moins de succès car bien plus difficiles à équiper pour des raisons évidentes d'encombrement stérique.

Première version de la maquette du RFH (1967 ?). Elle montre des faisceaux horizontaux (H), inclinés vers le haut (IH) et vers le bas (IB)
© ILL, Grenoble, France
Seconde version de la maquette du RHF (1968). On note que les IB ont été supprimés
©1968 archives Le Dauphiné Libéré
Article du Dauphiné Libéré du 9 mars 1968
©1968 <www.ledauphine.com> merci à Christine Rolland
L'ensemble de la version 2 de la maquette
©1968 archives Le Dauphiné Libéré
 
 

Concevoir un RHF c'est fun... pardon FOEHN

Concevoir un réacteur nucléaire n'est pas simple mais, en plus, quand on s'éloigne des modèles existants et cherche à tutoyer les limites comme pour le RHF, il faut être prudent.

Il était donc essentiel de verifier que les calculs de dimensionnement menés par l'équipe de Ageron à Grenoble, et celle de Saclay, reflétaient bien la réalité. Comme le dit JP Schwartz, il aurait été difficile de construire un mini réacteur de test de puissance nulle. La voie choisie a été d'effectuer une simulation du fonctionnement RHF à l'aide du réacteur de faible puissance EOLE à Cadarache.

FOEHN
L'expérience critique pour le réacteur à Haut-Flux Franco-Allemand (4/3/1968 - 31/01/1969)
Klaus SCHARMER, Hans G. ECKERT

Une expérience critique a été réalisée pour le réacteur à haut flux franco-allemand modéré à l'eau lourde. Elle a permis de contrôler les méthodes de calcul utilisées pour la conception du réacteur et d'obtenir des paramètres qui échappent au calcul.
La caractéristique de la barre de pilotage, la réactivité du 10B dissous dans le coeur, la répartition du flux et de la puissance, ainsi que l'échauffement gamma pour des réacteurs avec et sans bore fixe, et dispositifs expérimentaux dans le réflecteur ont été étudiés. Par ailleurs, l'efficacité des barres de sécurité a été mesurée, ainsi que le coefficient de température et la réactivité des dispositifs expérimentaux. Les résultats expérimentaux et théoriques concordent de façon satisfaisante, à l'exception de la réactivité des canaux qui est sous-estimée par le calcul.

Pour cette expérience, une maquette du bloc pile du RHF (élément combustible, barre de pilotage, barres de sécurité, circulation d'eau lourde, doigts de gants, etc.) a eté construite et installée au sein de EOLE, comme on peut le voir sur la photo. Un RHF temporaire en quelque sorte.

La maquette critique EOLE de Cadarache, démarrée en 1965 et arrêtée fin 2017
©2019 CEA VIDEOCAD
L'expérience FOEHN avec une maquette du RHF
©1969 Rapport CEA FOEHN
Un montage des pages de garde du rapport FOEHN
Dernière mise à jour: 30 November 2023