Du noyau atomique aux rats
Du noyau atomique aux rats
par Hans Börner (voir aussi "ILL, 50 years of service to science and society", p68)
traduit et mis en web par A. Filhol
Une page est associée à ce texte qui donne quelques explications destinées aux non-scientifiques et rappelle ce qu'ont été certains instruments anciens.
L'entente franco/allemande
Je suis arrivé à l'ILL directement depuis l’Université Technique de Munich d’où venait également Maier Leibnitz. Ce dernier avait accepté ma candidature et son ancien thésard, Otto W. B. Schult, était mon Prof de "Diplom" (l'équivalent allemand d'un Master). C'est lui qui m'a proposé de profiter de la toute récente entente franco/allemande.
J'ai commencé ma thèse de doctorat à l'ILL le 1er janvier 1972 et dès le premier jour, à ma grande surprise, j'y ai retrouvé Walter Mampe que j'avais déjà rencontré à Garching à l'occasion de l'organisation d'un bal de carnaval départemental ! Je me suis donc tout de suite senti "chez moi" à l'ILL.
L'ambiance des débuts
Le réacteur avait effectué une divergence, très peu de temps avant mon arrivée, mais les instruments scientifiques restaient à construire. Il faudra d'ailleurs plus d'une année avant que les premiers ne soient opérationnels !
A cette époque, ce qui m'a frappé est qu'aucune distinction n'était faite entre physiciens du solide ou des noyaux nucléaires, chimistes ou biologistes, car nous nous considérions tous, sans exception, d'abord comme des "constructeurs d'instruments". Nous avons appris très vite qu'une personne extraordinaire jouait un rôle central dans la conception de ces instruments car tout ce qui concernait les spectres neutroniques reposait sur la compétence de Paul Ageron et son étonnante capacité à appréhender des problèmes complexes.
Premiers pas
J'ai d'abord travaillé à la construction du spectromètre gamma PN3 destiné à l'étude de la structure des noyaux atomiques. J'ai eu la chance d'y être initié aux secrets des interféromètres laser par Rüdiger Koch, un scientifique critique, objectif et précis. Till von Egidy, notre premier "Senior Scientist" est arrivé un peu plus tard. Il insistait beaucoup sur l’importance de l’objectivité, de l’intégrité, et de persévérance dans le travail scientifique !
W. Mampe, lui, a d'abord eu pour tâche de terminer le spectromètre à électrons de conversion, BILL au niveau D, un autre outil pour explorer la structure interne du noyau atomique. Il succédait alors à Bernd Maier devenu le premier secrétaire scientifique de l'ILL.
En effet, les associés avaient conçu l'ILL comme un institut de service, une nouveauté à l'époque, et il fallait donc organiser l'accueil matériel et scientifique des chercheurs invités. Bernd l'a progressivement mis en place avec beaucoup d'engagement et de talent. Se souvient-il encore de l'histoire du "scientifique volant" ?
Un physicien Belge voulait absolument que l'ILL lui paye l'avion de Bruxelles à Lyon au lieu du train. Au début des années 70 ce n'était pas commun à l’intérieur de l'Europe et c'est pourquoi Bernd, un peu choqué par cette exigence, l’appelait "the flying scientist" ! Depuis le monde a bien changé !!!
Une vraie réussite
À la fin des années 1970, W. Mampe a décidé d'innover en réalisant les premières expériences ILL avec des neutrons ultra-froids (UCN).
En collaboration avec Paul Ageron, Bob Golub et Mike Pendlebury, il a d'abord participé à l'étude de la génération de ces fameux neutrons ultra-froids via la diffusion de neutrons froids dans de l'hélium liquide. Bien plus tard, cette approche sera reprise par des instruments ILL comme CryoEDM (2008), GRANIT (2011), SUN (2015), SuperSUN (2022), mais la toute première source UCN de l'ILL, développée par Paul et Walter, aura été le guide de neutrons vertical qui, du fait de sa forte courbure, ne conduisait que les neutrons très lents (très froids et ultra froids). Les manips étaient installées à son extrémité, sur la plateforme PN5, au niveau C.
C'est sur cette même plateforme que, Norman Ramsey (prix Nobel de physique en 1989), G.L. Greene et lui, ont mené l'étude du moment magnétique du neutron et leurs expériences ont fait date dans la neutronique. Plus tard, Walter a pu aider Albert Steyerl à installer la turbine à neutrons PF2. Cette fameuse "Steyerl turbine" de Grenoble est devenue le "La Mecque" de la recherche à base de neutrons ultra-froids car, presque 50 ans après, cette source d'UCN est toujours compétitive. Nombre de scientifiques y ont réalisé des expériences marquantes tels que la recherche du moment dipolaire électrique du neutron et la mesure de sa durée de vie, à des niveaux de précision encore jamais atteints.
Quatre inoubliables
Les photos ci-jointes montrent les inoubliables A Steyerl, P. Ageron, W. Mampe et N. Ramsey. Pour moi, par leur capacité à sortir des sentiers battus et à mener des expériences ingénieuses, ils représentent l'excellence requise pour développer la science autour d'un outil aussi fantastique que le Réacteur à Haut Flux de l'ILL.
Des noyaux atomiques et des rats
Au cours de sa carrière un scientifique de l'ILL peut être amené à faire des expériences qui sortent de l'ordinaire. Par exemple comment passer de l'étude des noyaux atomiques à l'irradiation de hamsters ou de rats pour traiter le cancer ? [1]
En fait, les techniques de radiothérapie aux rayons X, aux protons mais aussi aux neutrons, visent toutes à casser, aussi sélectivement que possible, l'ADN des seules cellules cancéreuses. Depuis 1940, les scientifiques tentent donc de développer la BNCT (thérapie par capture des neutrons par le bore) ce qui suppose de bien quantifier les effets des neutrons sur des cellules préalablement marquées au bore (ou au lithium).
Et c'est ainsi que le physicien de physique nucléaire que je suis a été impliqué dans des expériences à visée médicale.
[1] Larsson B., et al. (1982) In: "Progress in Radio-Onctology", Eds: Kaercher K.H., Raven Press, Ltd, pp.151-157
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