Inserts à dilution
Les inserts à dilution
Les cryostats orange ayant rapidement prouvé leur facilité d'emploi et leur fiabilité, il était tentant d'étendre la gamme de température initiale (1,5 K - 300 K).
Dès 1984, cela a été fait vers les plus hautes températures avec une déclinaison "cryofours" couvrant le domaine 1,5 K à 500 K.
Pour les plus basses températures il fallait recourir aux cryostats à dilution classiques, ce qui était peu pratique. Plusieurs équipes ont donc tenté, indépendamment et avec des fortunes diverses, d'étendre les possibilités des cryostats classiques vers les très basses températures :
- Oxford Instruments aurait très tôt tenté de concevoir un insert à dilution (à confirmer). Le problème à résoudre était celui de l'étage à 1 K (condensation de l'hélium).
- 1980, la thèse de Michel Caussignac, dirigée par Alain Benoît, décrit un dispositif très compact, sans boîte de mélange à 1 K, qui peut être considéré comme étant le premier insert à dilution opérationnel.
- Dans le même temps, à l'ILL, Klaus Gobrecht développe un étage à hélium-3 pur permettant d'atteindre 0,3 K. Anton Heidemann tente de l'utiliser pour une expérience sur CH4 sur IN5 mais divers problèmes sont rencontrés et la manip rate.
- en novembre 1982, indépendamment de Caussignac/Benoît, Karl Neumaier développe la solution qui est toujours en usage à l'ILL.
Michel Caussignac et Alain Benoît
Jean-Louis Tholence (CNRS-CRTBT) raconte ainsi la genèse de cette invention :
"Quand je suis rentré des Etats-Unis en 1979, j'ai demandé à Alain Benoît s'il serait possible de faire une dilution de très petite taille (diamètre 29 mm) qui puisse remplacer la cellule à désaimantation adiabatique que j'utilisais pour des mesures d'aimantation.
C'est là qu'il a suggéré une diluette sans boite à 1 K qui a très bien fonctionné en descendant à 50 mK, sans échauffement lors du déplacement de l'ensemble "dilution en contact avec l’échantillon par une longue tresse de cuivre".
D'autres labos ont essayé de déplacer seulement l’échantillon relié thermiquement à la boite à mélange, mais sans succès car l'échantillon chauffe."
Supprimer la boîte à 1 K permet d'éliminer un groupe de pompage mais requiert un compresseur d'hélium nettement plus puissant. Le développement de ce dispositif original est décrit dans la thèse de Michel Caussignac [1]. Serge Pujol se souvient que des tests ont été effectués sur le diffractomètre D1B par l'équipe Caussignac, Benoît, Flouquet.
La construction de ce dispositif sous licence a d'abord été proposée à Oxford Instruments (pas intéressé), à l'Air Liquide qui a commercialisé le Minidil 70 (trop cher). Ensuite la société Concept Soudure (Gilbert Ardin, un ancien du CNRS/CRTBT) l'a construit à un tarif de 300 k€ en 1992. Enfin Patrick Pari, un élève de Alain Benoît, a poursuivi dans cette voie avec Cryoconcept.
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Karl (Charlie) Neumaier
En septembre 1981, Karl (Charlie) Neumaier - un spécialiste de la cryogénie venu du Meissner-Institut de Garching - fait une expérience sur IN13 avec Anton (Toni) Heidemann sur LuH0.01. Il faut une semaine au cryostat à dilution Oxford Instruments apporté à l'ILL par Paul Hilton pour descendre à la température souhaitée. Toni et Charlie sont très justement excédés !
Question de Charlie :
"Veux-tu que je te fabrique un système top-loading qui soit plus pratique et beaucoup plus rapide ?"
Réponse de Toni :
"OUI !"
Indépendamment de l'équipe Benoît/Caussignac, Charlie conçoit et construit alors un premier "insert à dilution He3/He4 pour le cryostat standard ILL" [2,3]. Selon ses propres termes :
"C'était une affaire complètement sans bureaucratie entre Toni (Anton Heidemann) et moi, sans étude approfondie d'un comité de gens importants. D'après les théories aérodynamiques les bourdons sont incapables de voler mais, comme ils ne le savent pas, ils volent quand même. Le même genre de raisonnement peut être fait pour l'insert. Nous avons essayé l'impossible et nous avons eu la chance de réussir."
Ce dispositif très compact se glisse dans le cryostat orange à la place de la canne porte-échantillon habituelle, tout simplement ! C'est une énorme simplification d'utilisation et d'entretien, et c'est moins cher qu'un cryostat à dilution dédié.
Dominique Brochier (chef du service Environnement Echantillon) qui se battait avec des cryostats à dilution de l'époque, raconte qu'il a vu arriver les inserts "Charlie" avec un grand soulagement ! Karl forme alors Jean-Louis Ragazzoni à cette nouvelle technologie.
Lors du grand arrêt du réacteur (1982-1983), Jean-Louis Ragazzoni, Peter Suttling et Roger Chung fabriquent une vingtaine d'inserts mais, au moins au début, l'échangeur de la boîte de mélange et l'échangeur continu sont fabriqués à Garching par Karl Neumaier lui-même. Une partie de ces inserts sont alors exportés (1 au Rutherford Lab, 2 au NIST, 1 au LAP, 1 au Max Planck Munich) et l'ILL en garde 2. Le reste servira de pièces détachées. Un insert et son cryostat orange étaient facturés 115.000 Fr (soit presque 35.000 € de fin 2014). Jean-Louis Tholence (CNRS) pense qu'un cryostat à dilution commercial était environ 5 fois plus cher mais il est difficile de savoir si cette comparaison porte sur des systèmes complets.
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Le carnet de route de Charlie
29/07/82 | très grosse fuite | |
11/09/82 | T =0.5 K, grosse fuite | |
10/11/82 | T = 0.09 K, pas de fuite détectable | |
14/11/82 | T = 0.06 K | |
18/11/82 | expérience sur CH4 at 40 mK | |
1982 | l'ILL envisageait l'achat d'un second cryostat à dilution Oxford Instruments. Anton Heidemann est allé voir la direction (B. Fender) et l'a convaincue d'annuler la commande et d'opter pour les inserts à dilution. | |
Jan. 83 | expérience sur IN5 sur CH4 à T = 100 mK. Jean-Louis Ragazzoni note : Lors de cette expérience, une entrée d’air intempestive dans le sas échantillon du cryostat orange provoqua un début "d’éjection" de l’insert, lors du réchauffement. Heureusement tout était bien attaché mais il y eut quand même des dégâts que, Peter et moi, nous avons décidé de réparer sur le champ. Charlie, ayant constaté que nous avions pu le refaire fonctionner, en conclut que l’insert était prêt pour une commercialisation, laquelle démarra peu après. | |
Fin Jan. 83 | expérience sur IN12 sur NbOxHy | |
Sept. 83 | expérience sur IN13 sur l'acétate de Mn | |
Déc. 83 | expérience sur IN6 sur NbOxHy | |
[…] | ||
2002 | séminaire sur les expériences aux mK | |
2007 | une version modifiée du 2ème insert construit par Charlie et Jean-Louis fonctionnait toujours. |
Les évolutions
Après son succès de 1982, Karl Neumaier a poursuivi ses recherches et développé un échangeur très spécial en forme d’enroulements coniques superposés (empilement de chapeaux chinois) qui a surpris les cryogénistes du SANE. Voici ce qu'en dit Karl Neumaier [4] :
A Garching, j'ai remplacé l'étage à 1 K de l'insert à dilution par un pré-refroidissement via un échangeur de type chapeaux chinois (comme l'appelait Jean-Louis Ragazoni). La descente en température était un peu plus longue mais on atteignait 50 mK en 5 heures après avoir fermé l'enceinte à vide. En 2015, cinq unités de ce type sont toujours en usage plus ou moins permanent.
C'était J. Kraus de notre institut qui, en 1976, avait réalisé la première dilution sans pot à 1K, en même temps que De Whaele à Eindhoven. Sa dilution marchait très bien mais était limitée par son impédance turbulente qui ne permettait pas de faire varier le débit. Ça m'a coûté pas mal de temps pour trouver une impédance forte (obligatoire pour les petites dilutions) et en même temps laminaire, avec laquelle je pouvais faire varier le débit entre 10 et 50 µmoles/s.
En fait, cette approche, tout comme celle de Causignac-Benoît, se justifie dans certains contextes mais moins dans le cas de l'ILL. Les inserts actuels ont de bonnes performances sans faire appel à ce type de montage peu facile à réaliser. En revanche ils demandent au cryostat à hélium liquide de fournir un étage à 2 K avec l’inconvénient que cela rend difficile de travailler au-dessus de 1,8 K. Il faut pomper le mélange puis ajouter un gaz d’échange dans l’insert pour passer du mode "gestion dilution" au mode "gestion cryostat". C’est une procédure manuelle qui ne peut être réalisée que par des initiés.
Dans le cadre de son programme Endurance, l'ILL a pour objectif d'automatiser ce passage de T < 1,8 K à T > 1,8 K.
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Extraits des rapports annuel de l'ILL jusque 1990
Les rapports annuels de l'ILL et le carnet de route de Karl (Charlie) Neumaier montrent bien la rapidité de développement [5] ainsi que l'ampleur et la rapidité du succès des inserts à dilution :
1981 : le rapport parle d'un "He3 system atteignant 70 mK" sans plus de précision.
1982 : le rapport indique que le "Pocket dilution refrigerator" de K. Neumaier a atteint 40 mK. Actuellement, on utilise plutôt le terme de "diluette".
1983 : les diluettes ont un gros succès et permettent un changement d'échantillon en 4 heures.
L'ILL fabrique une vingtaine d'inserts pour lui-même et des laboratoires extérieurs.
1984 : les deux inserts 25 mK de l'ILL sont opérationnels et totalisent 40 jours de fonctionnement. En moins de 4 ans, les inserts ont pris le pas sur les cryostats à dilution.
1987 : D. Brochier écrit : "La dilution, maintenant c'est de la routine !"
1990 : le rapport mentionne la validation d'un nouveau type d'insert à dilution conçu par l'Institut LAPP (Annecy) et le Walther-Meissner Institut (Garching). Cela reste un insert "Charlie".
De la même façon que les cryostats orange ont rendu "faciles" les basses températures jusqu'à 1,5 K, les inserts à dilution ont permis de populariser les très basses températures jusqu'à 50 mK en routine dans les conditions de mesure aux neutrons. A l'heure actuelle, à l'ILL, les expériences à très basse température sont réalisées à 80% avec des inserts à dilution, à 15% avec des inserts 3He et le reste avec des cryostats à dilution.
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Références
- M. Caussignac, Thèse, Université de Montpellier, 5 juin 1980.
- Neumaier K. , Heidemann A. , Magerl A. "A dilution refrigerator insert for standard ILL cryostats", Rev. Phys. Appl. 19, 773-774 (1984).
K. Neumaier, A. Heidemann, A. Magerl, Rev. Phys. Appl. 19, 773 (1984) - Exposé de K. Neumaier, en l'honneur de Anton Heidemann, ILL 29/11/2002.
- Charlie raconte : "Anne Marie De Goer, ma tutrice au CENG m'a demandé :
[A-M] Comment est il possible d'avoir réalisé l’insert en un tel temps record ?
[Karl] C’est moi qui ait conçu et assemblé l’insert.
[A-M] Tu l'as monté toi-même ?
[Karl] Oui !
[A-M] Ah, maintenant je comprends ! Au CENG aucun cadre ne prend en main un fer à souder." - L'original du message de K. Neumaier
"In Garching I replaced the 1K stage of the dilution insert with an internal precooling heat exchanger type chapeau chinois (as named by JL Ragazoni). The cool time was a bit longer, but it was possible to reach 50mK in 5 hours after closing the vakuum jacket. Actually there are 5 units more or less permanently used."
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