Multidétecteurs 1D
Pour enregistrer un spectre ou un diagramme, la technique initiale est de faire tourner un compteur de neutrons autour d'un axe. Pour mesurer plus vite, beaucoup d'efforts vont être faits pour développer de grands détecteurs linéaires capables de localiser le point d'impact des neutrons incidents, détecteurs dénommés PSD (Position Sensitive Detectors).
A l'ILL trois technologies vont s'affronter et être développées en parallèle à des degrés divers.
Multidétecteur 1D à fils | image |
Polydétecteur 1D | image |
Tubes à localisation | image |
Multidétecteurs 1D à fils
L'invention au CEA
C'est Edouard Roudaut, thésard du CEA/CENG au service "Diffusion neutronique" qui ouvre le bal [1]. Il conçoit avec Robert Allemand (CEA/LETI) [2] un multidétecteur linéaire courbe de 400 cellules utilisant la technique des fils tendus. En effet, alors qu'un monodétecteur tournant mesure un diagramme donné en 400 pas de rotation de durée Δt, un multidétecteur de 400 cellules produit le diagramme complet en un seul intervalle de temps Δt, soit 400 fois plus vite. En pratique le gain n'était que de 200 car la taille d'une cellule étant plus petite que celle d'un détecteur unitaire, son efficacité de détection était moindre. Une vraie révolution néanmoins !
Roudaut et Allemand optent pour le gaz 10BF3 comme convertisseur car le 3He est encore trop rare et cher vu le volume global de la chambre à gaz. Un premier multidétecteur sera en service à Siloé et à Mélusine vers 1970 et un second est développé pour D1B.
Dans sa thèse Roudaut posait également les bases d'un mutidétecteur dimensionnel dit XY à fils tendus [3]. Ce faisant il ouvrait la voie à l'immense succès des détecteurs à fil tendus pour la physique nucléaire et les rayons X. Toutefois, ne maitrise pas qui veut la technique du fil tendu et la fabrication d'un multidétecteur est presque un art.
Références :
1- E. Roudaut (1967) 2ème thèse, "Utilisation de muticompteurs en diffraction de neutrons et de rayons X", faculté de Grenoble, France.
2- R. Allemand, J. Jacobé et E. Roudaut, "Dispositif détecteur de neutrons", brevet FR148589A du 18 avril 1968, ou en Anglais US3614437A
3- R. Allemand, C. Brey et J. Jacobé, "Dispositif détecteur de localisation de rayonnement", brevet 691 70 42 du 23 mai 1969.
L'ILL embraye le pas puis cale pendant 30 ans
L'ILL voit tout de suite l'intérêt de ce nouvel outil et Robert Allemand (CEA/Leti) se souvient d'avoir présenté sont travail devant Maier-Liebnitz et Jacrot, les directeurs de l'époque. Maier-Liebnitz pensait confier le développement de détecteurs à une équipe allemande mais, à la fin de l'exposé, il décide de confier cette tache à l'équipe grenobloise. C'est le début d'une collaboration qui durera longtemps.
L'ILL finance tout d'abord le développement d'une évolution du multidétecteur de Roudaut et Allemand afin d'équiper le diffractomètre de poudres D1B qui est en projet. C'est encore un détecteur courbe à 400 cellules à gaz BF3 et la société LMT (Le Matériel Téléphonique) du groupe LCP est chargée de sa construction sous contrôle du LETI. Pierre Convert, thésard de E. Roudaut, qui s'en occupe le baptise "détecteur banane". Il est embauché par l'ILL en 1970, à la fois, pour suivre ce développement et achever la construction de D1B dont il sera un temps le responsable.
Le premier multidétecteur livré par LMT pour D1B n'est pas pleinement satisfaisant et la construction d'un second est immédiatement entreprise qui sera opérationnel en janvier 1975.
Bizarrement, le détecteur 400 cellules de D1B n'a jamais été remplacé par un détecteur 800 cellules comme à Siloé (1980) ou à Orphée (1987), tout au plus son gaz sera-t-il remplacé par du 3He en 1981 avec un résultat mitigé [1]. Le retard de l'ILL, un temps leader, s'accroit rapidement et de façon assez incompréhensible vu la productivité d'un instrument comme D1B. Dans le même temps, peu avant l'arrêt de Siloé (1997), ses équipes travaillaient à un projet de détecteur 1600 cellules qui ne verra donc pas le jour [2]. En 2000, le diffractomètre de poudres HRPT de SINQ se voit doter doté d'une banane 3He de 160° d'ouverture angulaire et 1600 cellules, construit par la CERCA à Romans (2000) avec la technologie CEA/LETI [3]. Il faudra attendre 2011 pour que l'ILL développe enfin pour D1B une banane à 128° d'ouverture angulaire et 1280 cellules.
Références :
1- Note ILL/Dépt Exploitation (1981) "Working group on multidetectors and diffraction projects/ Hardware"
2- E. Roudaut, Communication privée, 2021
3- P. Fischer et al., Physica B 276-278, 146 (2000)
L'invention de la technologie "microstrip"
Une partie croissante des moyens du groupe détecteur sont mobilisés par le développement pour D20 d'un multidétecteur aux caractéristiques exceptionnelles. En effet, cet instrument doté d'un flux incident de neutrons très élevé avait besoin d'un détecteur plus rapide (c'est-à-dire permettant des taux de comptage plus élevés) que les détecteurs de l'époque.
Les notes des services techniques montrent que, au début des années 80, l'ILL est en plein doute sur sa capacité à développer un tel détecteur. On y voit évoqué un détecteur à fils dérivé de celui de D19 mais de hauteur de 160 mm, un prototype à 128 fils, un projet à 1600 cellules, mais aussi un détecteur à scintillateur (Jûlich) jugé plus rapide.
Vers 1983, Anton Oed propose une approche originale, la technique dite "microstrips" où les fils tendus sont remplacés pas des pistes métalliques sur verre [1]. Peter Geltenbort, chef du Groupe Détecteur de 1989 à 1994, juge ainsi cette invention :
The reader should be informed that Anton is the inventor of this technique which has to me the same importance as Hans Geiger in 1928 with the Geiger Counter, 1968 Georges Charpak with the MultiWire Proportional Chamber (MWPC).
(traduction) Le lecteur doit être informé qu'Anton est l'inventeur de cette technique qui a la même importance que celle du compteur Geiger par Hans Geiger en 1928 et celle de la chambre proportionnelle multifil (MultiWire Proportional Chamber ou MWPC) par Georges Chapak en 1968.
Qu'apporte cette technologie ? Pour progresser avec les fils tendus il aurait fallu pouvoir utiliser des fils plus fins, plus rapproché et leur appliquer des tensions plus élevées, mais il y a une limite à cela imposée par la répulsion électrostatique entre fils qui les voit s'organiser en quinconce, qui amplifie toute irrégularité dans leur positionnement et qui les rend fragiles. Rien de cela avec les microstrips dont les pistes peuvent être bien plus proches et qui autorise des taux de comptages inaccessibles aux chambres à fils tendus.
L'idée est brillante mais la mise au point s'avèrera particulièrement piégeuse. Ainsi, un premier détecteur, installé sur D20 en 1997, tombe en panne au bout d'un an car le vieillissement et le dépôt de charge dans le verre n'étaient pas encore bien compris. Finalement en 2000, soit après 17 ans d'efforts, le détecteur de D20 couvrant 153.6˚pour 1536 cellules est mis en service et c'est une réussite [2,3], réussite qui aura beaucoup contribué à faire de D20 un instrument aux caractéristiques inégalées pour plus de 20 ans déjà.
En 2021, les instruments D4 et D20 sont encore dotés d'un détecteur microstrip et cette brillante invention a essainée un peu partout. Les détecteurs appelés "Micro-Pattern Gaseous Detectors" (MPGD) utilisés pour la détection des rayons X ou pour la physique des hautes énergies (HEP) reposent sur cette technologie - ou un dérivé de cette technologie - qui voyage même dans le satellite de la mission INTEGRALE depuis 2002.
Après plus 20 ans de bons et loyaux service sur D20, un remplaçant à ce détecteur d'exception est prévu qui sera doté d'une évolution de la technologie microstrip appelée multitrench et inventée à l'ILL.
Innovation ILL : invention des multidétecteur neutron de type "Microstrip Gas Chamber" (MSGC) à haut taux de comptage. Elle ouvre la voie à de nouvelles générations de détecteurs neutrons mais aussi X ou pour la physique des hautes énergies. |
Références :
1- A. Oed (1988) Nucl. Instrum. Methods A 263, 351-359.
DOI: 10.1016/0168-9002(88)90970-9
2- P. Convert, et al. (1998) Physica B 241–243, 195.
3- Clergeau JF et al. (2000) IEEE Nucl. Sci. Symposium. Conf. Record (Cat. No.00CH37149), 2000, pp. 5/44-5/49 vol.1. DOI: 10.1109/NSSMIC.2000.949078
Polydétecteurs 1D
Une alternative au multidétecteur 1D est d'assembler côte-à-côte sur un arc de cercle une série de monodétecteurs. On a donc X petits réservoirs de gaz hébergeant une seule anode, au lieu d'un réservoir de gaz unique hébergeant X anodes.
Ce dispositif appelé "Individual Counter Array" (ICA) est la voie que suivra Alan Hewat pour le diffractomètre de poudre à haute résolution, D1A [1,2]. Plus tard D2B optera également pour un ICA.
Les principaux avantages escomptés sont, un moindre coût de développement pour une ouverture angulaire plus importante, une réalisation plus facile basée sur des détecteurs du commerce au lieu d'un développement à l'unité, une pression de gaz plus élevée permettant d'atteindre une meilleure efficacité de détection.
Innovation ILL : le premier "Individual Counter Array" (ICA) a été celui de D1A |
References
1- A.W.Hewat, I.Bailey (1976) NIM 137, 463-471. DOI 10.1016/0029-554X(76)90469-9
2- Position-sensitive detection of thermal neutrons, 1983, Ed. P.Convert & J.B. Forsyth, Academic Press, pp 316-320.
L'histoire de D1A vaut d'être contée. Au départ le projet vient de Saclay et l'idée était de placer dans le faisceau du guide de neutrons H22 un unique monochromateur vu d'un côté par D1B (placé à gauche) sous un faible angle de take-off, et vu par D1A (côté droit) sous un grand angle de take-off. En pratique, le couple D1A/D1B s'est avéré inréglable et Alan Hewat, appelé à la rescousse, a doté D1A de son propre monochromateur placé derrière celui de D1B et remplacé le monodétecteur par un ICA pour en faire un instrument performant.
Tubes à localisation (1D)
Si le fil central d'un détecteur à gaz (l'anode) est un fil résistif alors on peut localiser le point d'impact d'un neutron en mesurant le temps que mettent les charges qu'il a généré pour atteindre chaque extrémité du tube.
Placé en position horizontale, un tube à localisation pourrait être un alternative à un multidétecteur de type banane, sauf qu'il ne peut être courbé. De ce fait peu de diffractomètres à neutron dans le monde ont retenu cette solution et aucun à l'ILL. En revanche on verra de grands multidétecteurs bidimensionnels font appel à cette technologie, notamment parce quelle est largement disponible commercialement.
Ce type de PSD 1D est apparu en 1968 [1] et l'ILL s'y est assez vite intéressée car Jean Jacobé écrit en 1973 [2] :
Détecteur localisant à fil résistant : Détecteur développé avec l'ISN, 0,9 mm de résolution spatiale aux neutrons, sera installé pour test sur D5.
Pour sa part André Rambaud note :
Concernant les tubes à localisation Jean avait fait des essais avec un tube dans lequel j'avais monte un fil de quartz avec du carbone. Ce fil était collé aux deux extrémités avec une colle à l'argent pour assurer la conductibilité électrique et fonctionnait en division de charges avec une électronique associée. Le tube était rempli avec du gaz BF3. Je ne sais plus s'il a été utilisé sur un instrument.
mais, en 1975, Jean Jacobé note :
"Des prototypes BF3 et 3He ont été développés à l'ILL. Les fils résistants en quartz sont non homogènes et non remplaçables".
et Alain Ménelle du LLB ajoute :
Je ne pense pas que l’ILL soit à l’origine de ce développement, mais ils ont fait pour ces tubes une électronique à division de charge très performante. Ça a contribué à leur généralisation.
Depuis lors, ce type de détecteur est produit industriellement. L'ILL se fournit surtout chez Reuter-Stokes et l'a aidé à faire progresser son offre. On verra plus loin que si l'ILL n'utilise pas de détecteur isolé de ce type, il en fait des assemblages pour réaliser des détecteurs 2D comme, en 2022, le nouveau détecteur de D11.
Innovation ILL : électronique à division de charge très performante |
References
[1] Borkowski C.J. and Kopp M.K. (1968) Rev. of Sci. Inst. 39, 1515; DOI: 10.1063/1.1683152
[2] Note interne ILL, ST-73/583 04/07/1973 - Réunion avec le LETI
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