2023 - Robert Dautray
Robert Dautray, l'un des pères du RHF
par A. Filhol (+ Francoise Vauquois et Claire Vincent)
Robert Dautray est décédé le 20 août 2023 à l'âge de 95 ans, sans que cela soit largement diffusé, peut-être parce que, selon des témoignages :
Il avait demandé que l’annonce de son décès soit faite un an après, comme pour son père, déporté et mort en Allemagne.
L'ARILL se doit de lui faire honneur car, sans lui, le RHF n'aurait peut-être jamais vu le jour. Il fut le tout premier chef du groupe projet et s'est passionné par ce défi. Son travail a suscité l'intérêt des allemands et la mise en place d'une étroite collaboration avec son homologue, Heinz Beckurts.
Nous ne répèterons pas ce qu'on trouve par ailleurs sur le web [1] ou dans ses mémoires [2] mais nous donnons ici quelques témoignages de ceux, encore vivants, qui l'ont connu autour du projet RHF. Ce dernier lui tenait beaucoup à coeur et, jusqu'à un âge avancé, il est régulièrement venu à l'ILL, notammment en 1993 (remplacement du bidon), 2011 (40 ans de la première divergence), 2016 (Symposium Bernard Jacrot). N'était sa santé et la crise Covid, il serait volontiers venu en 2022 pour fêter les 50 ans du réacteur.
[1] Par exemple sur wikipedia ou sur le site de La Jaune et la Rouge.
[2] Robert Dautray, Mémoires, du Vel d'Hiv à la bombe H, Paris, Odile Jacob, 2007.
Robert Dautray au symposium Bernard Jacrot (2016)
©2016 ILL, Serge Claisse
Robert Dautray aux 40 ans du RHF (2011)
©2011 ILL, Serge Claisse
Robert Dautray et le remplacement du bidon (1994)
Robert Dautray a la parole
Témoignage de Maurice Pascal
Maurice Pascal, père d'une collègue, avait beaucoup cotoyé Robert Dautray au CEA. Il témoignait que :
"Dautray était d'une intelligence hors du commun, et pourtant sans aucune suffisance. Il était issu d'une famille très modeste, de pelletiers-foureurs. Pendant l'occupation il est devenu berger. Un instituteur l'a encouragé à passer le bac et à poursuivre des études, ce qu'il fit très brillamment."
Philippe Nozières se plaisait à dire :
"Le RHF a donc été conçu par un berger !"
Témoignage Jean-Paul Martin
24 mars 2014
Effectivement Monsieur Robert Dautray que je connais bien est tout à fait le père de ce réacteur : sa première communication date de 1956 à Santa Fe aux États-Unis.
C’est bien lui qui a fait les choix principaux quand il était chef de projet et notamment celui de l’eau lourde et de l’alliage d’aluminium pour le caisson cœur car j’avais moi-même fait des communications à Karslruhe pour comparer des caissons en zirconium avec des caissons en aluminium. Ce choix de caissons découlait du réacteur Pégase, dont le père était également Robert Dautray, réacteur construit entre 1960 et 1963 dont j’avais été chargé de la construction, puis du démontage et du découpage du caisson en aluminium après deux ans d’irradiation, pour anticiper la durée de vie dans le réacteur à Haut flux dont la fluence était quand même dix fois supérieures à Pégase.
J’étais dans les équipes de constructions des réacteurs expérimentaux à Saclay quand brutalement Robert Dautray fut retiré du secteur civil pour être injecté à la direction scientifique de la direction des applications militaires précisément pour réaliser la bombe H. C’est bien lui qui en est le père, tout au moins l’initiateur.
C’est encore lui qui a sauvé le réacteur RHF en 1992 puisque l’équipe de Grenoble voulait procéder au démantèlement. Il me convoqua au siège du CEA pour que je présente la solution de démantèlement et de reconstruction que j’avais imaginée à la suite de mon expérience sur la très forte radioactivité des installations de retraitement du combustible à La Hague dont j’étais le chef de production à l'epoque. Il avait fait passer le message en me citant nommément auprès de Messieurs Rouvillois (administrateur général du CEA), Bouchard (directeur au CEA) et un autre directeur dont j’ai mangé le nom mais qui accepta ma proposition. J’ai conservé le compte-rendu de cette réunion top secrète qui a servi à apaiser certains conflits. Dautray assista à tous les remontages à l'ILL car il s’était engagé sur ma personne et venait vérifier que les promesses étaient tenues.
L'eau lourde, c'est bien lui !
Réponse de Alain Filhol à Jean-Pierre Schwartz, 8 juillet 2021
JP Schwartz est l'un des plus anciens participants au projet RHF encore vivant.
"Vous avez tout à fait raison de dire que le D2O était prévu comme réflecteur (et modérateur pour les faisceaux sortis) dès les 1er projets de Robert Dautray. Lors de discussions autour du livre de Jacrot, j’ai constaté que tous ont retenu (à tort) que la question avait été "bidon D2O ou non” au lieu de "refroidissement H2O ou bien D2O”, moi compris !
Dans le livre de Bernard Jacrot, le choix le refroidissement D2O (contrairement au HFIR refroidi par H2O), est expliqué dans le 1er chapitre “Préhistoire”, en une ligne p12 du livre en Français (p22 du livre en Anglais) alors que la discussion sur le refroidissement intervient page 51 (p71 du livre en Anglais). Je pense qu'il aurait fallu insister plus sur ce point essentiel."
Le témoignage de Jean-Pierre Schwartz clarifie cela et il décrit la méthode de travail de Robert Dautray.
Témoignage de Jean-Pierre Schwartz
28 novembre 2023
J’ai travaillé avec Robert Dautray à trois moments de mon activité au CEA en participant successivement au projet de réacteur PEGASE, puis au projet de Réacteur à Haut Flux (RHF) de l'ILL, enfin comme Directeur de Cabinet du Haut Commissaire à l’Energie Atomique.
Robert DAUTRAY dirigeait le groupe Projet PEGASE quand je suis entré au CEA à Saclay en janvier 1962. Affecté au groupe de neutroniciens dirigé par Bernard Lerouge, j’ai été accueilli par Robert Dautray à mon arrivée, lors d’un bref entretien dans son bureau. La construction du réacteur à Cadarache était déjà avancée, le réacteur démarrera en 1963. Mi-1962, le groupe projet déménagea donc à Cadarache. Restant à Saclay avec un petit nombre d’ingénieurs, je serai donc séparé de Robert Dautray, après des relations de travail très réduites.
Fin 1964, fut créé au CEA un groupe d’études pour le RHF réacteur à haut flux pour la recherche fondamentale, dont la construction à Grenoble était destinée au futur Institut Laue-Langevin ILL, créé en 1967. Robert DAUTRAY dirigeait ce groupe chargé de concevoir le réacteur. Un accord conclu entre la France et l’Allemagne fédérale pour la réalisation en commun du RHF conduisit à un projet unique, à partir des projets du CEA et de celui développé par l’équipe allemande du Centre d’Etudes Nucléaires de Karlsruhe (Gesellschaft für Kernforschung, GfK Karlsruhe), dirigée par Heinz Beckurts.
Robert Dautray s’impliqua fortement dans la détermination des options techniques de ce nouveau réacteur aux performances poussées. Sa méthode de travail avec ses équipes était remarquable, j’ai pu le constater directement. Lorsqu’un sujet donnait lieu à débat, Dautray n’exprimait jamais de position personnelle, il posait des questions de plus en plus approfondies à son interlocuteur jusqu’à faire émerger la solution que, presque toujours, il avait déjà en tête ; quitte d’ailleurs à interroger plusieurs personnes en parallèle…
C’est ainsi que le CEA proposa un cœur du réacteur refroidi à l’eau ordinaire H2O et avec un réflecteur à l’eau lourde D2O, tandis que le choix de GfK se portait sur un cœur refroidi et réfléchi par de l’eau lourde D2O. L’année 1966 fut en grande partie consacrée à une confrontation, scientifiquement honnête, entre les 2 projets et dans un esprit de coopération franche, dénuée de conflit. Robert Dautray participa de près à ces analyses lors de nombreuses réunions.
L’équipe française bénéficia de contacts à l’étranger lors de missions (sans Robert Dautray), aux Etats-Unis où les réacteurs à haut flux HFBR (Brookhaven) et HFIR (Oak Ridge) fonctionnaient, et en Union Soviétique (juin 1966) où le réacteur à haut flux SM2 (Dimitrovgrad) était également opérationnel. Ces études bénéficièrent aussi des avis et conseils d’Herbert Kouts, ancien directeur du projet HFBR, venu séjourner quelques mois à Saclay.
Finalement le rapport commun aboutit en 1966, au choix du concept de réacteur refroidi et réfléchi à l’eau lourde.
En 1967 Robert DAUTRAY quittait le projet du RHF.
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