Hautes Températures
Hautes températures et neutrons
Dès le départ, l'étude à haute température (HT), ou à très haute température (THT >2000ºC), de la stucture et de la dynamique de matériaux solides ou fondus a été citée comme une voie de recherche prometteuse pour l'ILL. En effet, la bonne pénétration des neutrons vis-à-vis de la plupart des métaux était, à l'évidence, un avantage pour la conception de fours performants.
Des fours de toutes sortes ont donc été conçus par les utilisateurs, puis par l'ILL. Comme ces fours avaient tous des caractéristiques spécifiques intéressantes, nous n'évoquerons ici que quelques cas emblématiques. On donne également des extraits des Rapports Annuels permettant de comprendre l'évolution des HT à l'ILL.
Le groupe four de l'ILL a débuté avec Raymond Serve (1972-1988), qui s'occupait également des hautes pressions, vite rejoint par Pierre Andant (1974-2003) et le dessinateur Antoine Valenti. A partir de 1975 il est dirigé par Dominique Brochier qui admet qu'il lui laissait "beaucoup de liberté". Paul Martin n'arrivera qu'en 1990. Ce groupe a d'abord été épaulé par un "animateur scientifique" (d'abord Albert Wright, puis Winfried Petry en 1988) jusqu'à ce que des scientifiques ne chapeautent le service (Claude Zeyen, Anton Heidemann, Eddy Lelièvre-Berna).
Les premiers pas
avec l'aide de Dominique Brochier, Raymond Serve et Jens-Boie Suck.
Au début de l'ILL, Guy Gobert (en fait Gérald Guy Gobert pour l'état civil), chef du service mécanique pour l'ILL, et Pierre Tardif ont construit 3 fours dont l'un sera publié en 1977. Selon Dominique Brochier, cela a été un échec faute de compétence en thermique. Raymond Serve est moins brutal, selon lui la conception des fours n'était pas mauvaise (deux résistors concentriques) mais la partie alimentation électrique et régulation était catastrophique, et le montage/démontage était quasiment impossible. Pierre Andant précise à ce propos :
Les débuts des fours doivent beaucoup à Serve car il avait de bonnes idées. La partie électrique des débuts, c'est lui, et l'utilisation de selfs saturables aussi. C'était un emprunt aux sous-marins où ces dernières étaient utilisées pour piloter des transfos de forte puissance.
Conformément aux souhaits de la direction de l'époque, les utilisateurs venaient plutôt avec leurs propres fours. Par exemple :
- Le rapport annuel de 1973 dit que D4 était doté d'un four 800ºC opérationnel. Il s'agissait en fait d'un four construit par Walter Knoll et Hans Egger (Max-Planck Institut, Stuttgart) et qui atteindra 1600ºC.
- Le rapport de 1974 indique que le four de D2 a été reconstruit et a atteint 1000ºC.
- En fait, c'est Jens-Boie Suck qui aura été le premier à effectuer une expérience haute température (1400 K) aux neutrons à l'ILL. C'était en 1975 sur le diffractomètre de poudres D1A et son four venait de Karlsruhe [1].
En 1975, Rudolf Mossbauer regroupe hautes et basses températures sous la responsabilité de Dominique Brochier. A cette époque les métaux et matériaux réfractaires étaient un thème de recherche porteur (technologie, conquête spatiale, nucléaire) et deux équipes ont donc abordé le difficile problème des hautes températures (HT) et des très hautes températures (THT) mais pour des spectrométries neutroniques différentes :
- THT et matériaux solides (dès 1975) : Pierre Aldebert, Dominique Brochier et Raymond Serve, pour la diffraction de poudres aux neutrons et le quasiélastique.
- HT et matériaux fondus (dès 1980) : une équipe de l'ENSEEG/LTPCM, pour la diffraction aux grands angles (LANS) et la diffusion aux petits angles (SANS).
Dans le même temps, les rapports annuels font état de la multiplication de fours moins ambitieux et de conceptions variées, diversité qui générait beaucoup de travail pour le groupe haute température de l'ILL. La ligne des "fours bleus" (dénomination qui n'apparait qu'en 1986) est venue d'une volonté de standardisation et de réduction de l'effort d'entretien.
Du solaire aux neutrons
Avec l'aide de Pierre Aldebert.
Les choses sérieuses ont commencé avec Pierre Aldebert arrivé à l'ILL en 1975 en provenance du Four Solaire de Font Romeu (Odeillo), le must de l'époque pour les hautes températures en France et sans doute dans le monde.
Son directeur de thèse, Jean Pierre Traverse, l'avait lancé sur l'étude de La2O3, ZrO2 et α-Al2O3 aux très hautes températures (THT), en prémice de l'étude des réfractaires ThO2 et UO2 d'importance pour le nucléaire. Il l'avait tout de suite poussé vers les neutrons car il savait qu'ils permettaient de localiser les atomes d'oxygène dans des oxydes métalliques, ce qui n'était pas possible avec les sources de rayons X dont on disposait à l'époque.
A Font-Romeu, Pierre construit une première version d'un four résistif adapté aux neutrons, une seconde version au CEA/DN, et enfin une 3ème à l'ILL avec Dominique Brochier. Il atteint 2500ºC dès 1975 à Mélusine mais, en 1978, c'est à l'ILL sur IN5 qu'il réussit des mesures de diffusion quasiélastique des neutrons sur La2O3 à 2400ºC [2,3]. Il observe, pour la première fois, la liquéfaction d'un sous-réseau des oxygènes dans une poudre céramique à THT.
A la fin de sa thèse (1980) une équipe anglaise reprend le flambeau et, en 1984, elle atteint la température record de ~2660ºC (2930 K) [4] avec un four de conception dérivée de celle de Pierre.
Les principales innovations de Pierre Aldebert, pour les fours THT aux neutrons, sont l'utilisation de tubes concentriques très fins en tungstène (métal réfractaire) à la fois comme éléments chauffants et comme réflecteurs de la chaleur, l'utilisation de laine de zircone (ZrO2) et de feutre de carbone comme isolants réfractaires transparents aux neutrons, de zirconium à 900ºC comme piège à oxygène, et enfin la mesure optique précise de la température par la technique du pseudo-corps noir.
Le four anglais [4] apporte un système de double resistor concentrique avec alimentation électrique par le haut qui, pour son aspect pratique, perdure dans les fours HT actuels de l'ILL, lesquels ne dépassent pas 1600ºC.
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Fours pour LANS et SANS
Témoignages de Jean Blétry, Pierre Chieux, Claude Sénillou.
Le ENSEEG/LTPCM [5] avait acquis une expertise haute température (HT) dès les années 60, mais en spectrométrie de masse [6]. En 1980 l'équipe P. Desré, Claude Sénillou, etc., relève le défi de construire des fours haute température pour l'étude de matériaux fondus, ce qui exigeait un très faible bruit de fond et l'absence de pics de Bragg parasites [7,8]. Les techniques neutroniques visées étaient :
- la diffraction des neutrons aux grands angles (LANS), jusqu'à 2000ºC (~2300K). Le four est utilisé sur D4, en premier lieu pour l'étude des alliages Ni-V liquides,
- la diffusion des neutrons aux petits angles (SANS), jusqu'à 1900ºC (~2200K). Le four est utilisé sur D11 et D17, en premier lieu pour l'étude des alliages liquides Ag-Ge et Au-Si
Ils ont la particularité que le résistor chauffant et les écrans thermiques réfractaires sont percés pour laisser passer les neutrons, ce qui est possible dans le cas des liquides car leurs mouvements internes homogénéisent la température. En outre une table goniométrique en molybdène permet d'orienter le creuset porte-échantillon en alumine monocristalline (saphir) afin d'éviter tout pic de Bragg parasite.
Aussi bizarre que cela puisse paraître, ces fours ont été développés de façon totalement indépendante de ceux de Aldebert et dans l'ignorance de son travail, et réciproquement. A l'époque, c'était pourtant les deux seules équipes au monde travaillant aux HT ou aux THT avec les neutrons et, qui plus est, au même endroit.
Vers 1980, l'équipe de l'ENSEEG/LTPCM atteindra la température de fusion de l'alumine (TF=2054ºC), ce qui est un record pour le type d'expérience visé. En fait, dès 1975, Pierre Aldebert avait étudié ce matériau à Mélusine jusqu'à une température presque aussi élevée, mais la diffraction de poudres n'impose pas les même contraintes expérimentales.
Les fours du LTPCM conçus pour D4, D11 et D17, ont permis de mettre en évidence et d'étudier les phénomènes d'ordre chimique local (formation d'agrégats) ou de démixion (séparation spontanée du liquide en deux phases non miscibles) dans des alliages métalliques fondus.
Le LTPCM donnera ensuite ses deux fours à l'ILL.
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L'émergence de la série bleue
Avec l'aide de Dominique Brochier, Pierre Andant et Paul Martin.
En 1980, l'importance des hautes températures pour l'ILL est avérée car 83 expériences (664 jours de faisceau) font appel à un four, généralement bien moins extrême que ci-dessus.
Cette même année, Raymond Serve lance la fabrication d'un four pour l'ILL dérivé de celui de Pierre Aldebert. Ce four atteint 2500ºC en 1981 et sa 3ème déclinaison atteint 2600ºC en 1985, mais le rapport annuel précise que, au dessus de 2000ºC, cela restera un matériel “for specialists only” ! Raymond Serve dit que neuf expériences sur dix rataient avec, le plus souvent, la fusion de l'échantillon. En effet, la mesure précise de température était un gros problème et Pierre Andant précise :
"La mesure par thermocouple était assez aléatoire aux températures élevées. On essuyait les plâtres à l'époque et on a beaucoup tâtonné. Côté pyrométrie c'était de la poésie ! La mesure avec un pyromètre à disparition de filament de l'époque se faisait en appréciant la couleur à l'oeil à travers des filtres, et chacun trouvait une température différente. Le pyromètre IRCON qu'on a utilisé plus tard était plus fiable."
Ces très hautes températures ne sont plus évoquées à partir de 1986 car il semble qu'il y ait eu moins de demande et l'ILL privilègie alors des fours standards plus faciles à utiliser et moins coûteux en main d'oeuvre, mais qui ne montent pas aussi haut en température.
Dans les années 80, Raymond Serve et Pierre Andant d'abord, puis Paul Martin à partir de 1990, se consacrent à la production d'une ligne de fours standardisés, plus faciles à utiliser, moins chers, et surtout beaucoup plus faciles à entretenir que les fours des records évoqués précédemment. C'est la série bleue, appelation qui apparaît pour la première fois en 1984. Paul Martin précise :
"Avant la série bleue il fallait réparer le four après chaque manip, maintenant c'est seulement une fois par an. On va moins haut en température, c'est vrai, mais les températures extrêmes ne sont plus demandées et il y a même une baisse sensible des températures souhaitées."
Pierre Andant innove vers 1988/89 avec un résistor monolithique en feuille de niobium de 5O µ d'épaisseur, soudé par points selon une technique copiée de la fabrication des tubes radio qui utilisent également des métaux réfractaires. Il s'en est suivi une fabrication sous licence par AS Scientific (Abingdon, Grande-Bretagne). Le contrat établi pour vendre les cryostats orange est modifié le 5 avril 1993 afin d'intégrer les fours bleus. Le 7 mai, Pierre Andant est chargé de transmettre son savoir-faire et écrira à Colin Hillier, patron d'AS Scientific :
"En ce qui concerne les écrans, il y a une loi absolue : il faut qu'ils aient le moins de 'contacts francs' (court-circuits thermiques) entre eux. Il est nécessaire que tous les écrans soient isolés du 'résistor' et qu'ils soient bien centrés, tout en étant flottant entre eux."
Deux décennies plus tard, Pierre Andant (Pierrot) précise :
"J'avais mis au point une méthode de fabrication des résistors qui me facilitait le travail et allégeait l'ensemble chauffant. La copie par AS Scientific était souvent de médiocre qualité car ils n'ont jamais vraiment maitrisé le "welding spot" façon Pierrot (Eh oui il faut le coup de main !)"
avant de conclure :
"Avec l'arrivée de Paul Martin dans le groupe en 1990, nous sommes passés de la bidouille géniale au sérieux industriel."
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Hautes températures et perestroïka
Avec l'aide de Claude Zeyen, chef de la division Branche Développement (1993-1998). Il a donc dirigé le service Environnement Echantillon après Dominique Brochier et avant Anton Heidemann.
Durant le grand arrêt du réacteur (1991-1995) Claude part à Cadarache et découvre que les experts du nucléaire se posent beaucoup de questions sur le comportement à très haute température de UO2, le combustible de la majorité des réacteurs nucléaires. Avec l’Euratom (JRC-IRMM, Geel, Belgique), il met en place un projet de recherche sur ce thème et lance la construction d’un four capable d’atteindre 3000ºK. Les personnes impliquées étaient Bernard Guerra (ingénieur, spécialiste des HT industrielles mais qui, hélas, n'avait aucune expérience en neutronique), Peter Ziegler (physicien de Geel), Pierre Andant et Paul Martin (ILL). Malheureusement Claude tombe malade et démissionne avant que le four ne soit opérationnel et son successeur ne poursuit pas ce projet.
Claude donne une anecdote étonnante sur ce projet avorté :
"A l’époque, la perestroïka était toute récente et la Russie s’ouvrait. J'achetais donc autant d’hélium-3 que je pouvais au tarif russe et je le re-facturais au prix du marché occidental. Cela m'a permis de financer ce four THT et la source de rayons X durs de l’ILL-1."
Il est à noter que les THT sont à nouveau accessibles à l'ILL via le chauffage par laser d'échantillons en lévitation sur un jet de gaz (Louis Hennet et al. [9]).
Références
- Block R., Suck J.-B., Freyland W., Hensel F., Gläser W., "Structure Factor of Expanded Liquid Rb up to 1400 K and 200 bar.", Liquid Metals 1976, Inst. Phys. Conf. Ser. 30, (1977), 126-132.
Block R. , Suck J.B. , Gläser W. , Freyland W. , Hensel F., "Measurement of the structure factor of liquid rubidium by neutron diffraction up to 1400K and 200 bar" Ber. Bunsenges. Phys. Chem. 80, 718-721 (1976). - Pierre Aldebert, "Etude par diffraction et diffusion quasiélastic des neutrons de la mobilité anionique présentée à haute temperature par des oxydes réfractaires: Application à l'albumine et aux formes de haute temperature de la zircone et des sesquioxides de terres rares (La2O3 et Nd2O3)", Thèse de doctorat d'état, Université Paul Sabatier de Toulouse, France (1980).
- P. Aldebert, "Neutrons and X-ray experiments at high temperature", Revue Phys. Appl. 19 (1984) 649-662.
- K. Clausen, W. Hayes, J. E. Macdonald, R. Osborn, and M. T. Hutchings, Phys. Rev. Lett. 52, 1238 (1984).
- Le LTPCM a été intégré au SIMAP en 2007.
- "Etudes thermochimiques à hautes température par spectrométrie de masse : Dispositif pour mesures au moyen de cellules d'effusion multiples", C. Chatillon, C. Sénillou, M. Allibert, A. Pattoret (1974) Rapport LTPCM-1974-TM-06
- J.L. Lemarchand, J. Blétry and P.Desré, "Study of liquid nickel-vanadium alloys by neutron diffraction and model simulation", Journal de Physique, Colloque C8, supplément au n°8, Tome 41, août 1980, page C8-163.
- J. Blétry, P. Tavernière, C. Senillou, P. Desré, M. Maret and P. Chieux, Revue de Physique appliquée, 19, 725-730 (1984).
- Hennet, L. et al., "Levitation apparatus for neutron diffraction investigations on high
temperature liquids", Rev. Sci. Inst. 77, 053903, (2006).
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